Il y a quelques jours, le petit milieu des prestataires qui travaillent sur la question du changement climatique est rentré en émoi, parce que l'organisme qui enregistre les engagements de réduction des entreprises (plutôt des grandes) en ce qui concerne leur empreinte carbone, le SBTI (pour Science Based Target Initiative), a autorisé la "compensation" pour que les entreprises puissent atteindre leurs objectifs.
L'émoi a cependant un peu dépassé le petit milieu en question, puisqu'il y a eu :
- un article dans le Financial Times (ce qui, sur un sujet comme celui-ci, n'était pas du tout attendu) : https://t.ly/wHFYr
- un article dans Les Echos : https://t.ly/KqG-W
- ou encore un article dans le Guardian (mais c'est moins inattendu pour le coup) : https://t.ly/4je7X
La compensation, kézaco ? Il s'agit d'une opération par laquelle une entreprise ôte de sa propre empreinte carbone des émissions réduites ailleurs (grâce pour partie à de l'argent fourni par l'entreprise), des émissions évitées ailleurs (idem pour l'argent), ou une capture future de CO2 via des plantations là aussi co-financées par l'entreprise.
Comme j'essaie de l'expliquer dans cette chronique du jour sur RTL, la "compensation" est malheureusement inopérante s'il s'agit de diminuer sa dépendance aux émissions de sa chaîne de valeur. Si mon entreprise gère des hypermarchés où les clients viennent en voiture, planter des arbres ne change rien à la dépendance que j'ai aux voitures à pétrole de mes clients pour qu'ils viennent faire leurs courses.
Or une empreinte carbone reflète avant tout un lien de dépendance aux émissions "chez soi et ailleurs". Baisser son empreinte carbone, c'est se mettre en capacité de mieux survivre dans un monde où les émissions globales baissent de gré (réglementation et taxes) ou de force (insuffisance de ressources fossiles).
La "compensation", en pratique, vise à répondre à un seul risque : celui d'être vu comme mauvais élève parce que les chiffres ne baissent pas vite, même s'il faut pour cela préférer un tour de passe-passe comptable à l'action véritable. Et ce "passe-passe" subsiste même si les projets financés conduisent effectivement à une réduction d'émissions ailleurs, alors qu'en plus ce n'est pas si souvent le cas.
Et comme il faut aller voir dans le détail si une entreprise a utilisé ou pas la compensation pour faire baisser les émissions qu'elles déclarent, un certain nombre d'entre elles y ont recours en se disant, selon une formule célèbre, que sur un malentendu ca peut toujours passer.
C'est un bon signe que de la presse économique "sérieuse" ait désavoué cette mesure du SBTI. Il n'y a que si les comptes "illusionnistes" ne sont plus considérés comme légitimes par ce premier juge que sont les media économiques que les entreprises vont passer à l'étape d'après, c'est-à-dire investir du temps et des moyens pour réellement se rendre moins dépendantes des combustibles fossiles (et ce sera parfois difficile, assurément...).