L'heuristique de la peur et la "moraline"​ écologique.

L'heuristique de la peur et la "moraline" écologique.

On l’a découvert avec un sentiment de joie intense, le confinement en figeant la planète a rendu à la nature ce qui lui appartient. Qui n’a pas effectivement le cœur serré à l’idée de léguer à ses enfants une planète qu’il aura contribué à dégrader ? Ces quelques semaines de vie ralentie ont suffi à montrer la voie et à faire apparaître que sous nos pavés, il y a la terre ! Cette quête d’une nature assainie soulève un étonnement philosophique : non seulement parce qu’elle pose la question morale des générations à venir (une question d’éthique intergénérationnelle) car quel droit un être non encore advenu peut-il revendiquer ? Comment un être qui n’est pas encore né pourrait-il exiger quelque chose, en particulier que nous lui léguions une planète dégradée par nos soins ? Par ailleurs, la pensée écologique met face à l’exigence d’un renouvellement de la morale qu’on commence à juger trop anthropocentrée : pas de pensée écologique sans une morale reconnaissant non seulement des droits à l’animalité (on y est) mais aussi à la vie, autrement dit, pas d’écologie sans une morale biocentrée. On peut ici tomber dans les excès de la Deep ecology et effectivement interroger le droit que nous avons de nous soumettre le réel, d’arracher la petite carotte à son sol natal. Après tout, nous qui ne sommes plus capables de tuer la viande dont nous nourrissons pourtant, ne devrions-nous pas étirer notre compassion à toute vie ? Nous faudrait-il alors renoncer à cultiver la terre, comme Heidegger nous demandait de renoncer à l’arraisonner avec nos centrales atomiques ? Irions-nous accompagner Rousseau dans ses Rêveries solitaires et aspirer à une vie plus virile en nous libérant de la féminisation que portent luxe et raffinement ? On en viendrait à espérer brouter l’herbe dans les près comme le raillait Voltaire, si on ne craignait pour le bien-être végétal !

Depuis le Discours de la méthode de Descartes, de 1637, l’homme se sent légitimé à soumettre la nature à sa quête illimitée du plaisir et du confort. C’est un véritable manifeste et un texte inaugural, à l’époque de la mécanisation. Les hommes forment leur esprit « aux divers métiers de nos artisans » et apprennent de la mécanique non seulement la rigueur de la pensée horlogère, mais à devenir « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Si Dieu est reconnu seul maître véritable, il reste à l’homme le droit de se soumettre le réel au gré de son ingéniosité et dans le but d’obtenir des « artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent ». Ainsi l’interposition de la technique entre le réel et nous a-t-il pour effet de nous faire voir la nature comme une machine, sorte d’immense horlogerie, qui à défaut d’en être véritablement une, permet à l’homme de parvenir à des connaissances qui soient « fort utiles à la vie » : il s’agit ici du même raisonnement par lequel, percevant le corps à travers la mécanique, on le voit comme une machine que l’on peut soigner (avec le médecin Harvey, Descartes apparaît comme pionnier dans la chirurgie transplantatoire), et de nature à augmenter « le bien général de tous les hommes » (à la fois par le confort qu’on obtient aux dépens de la nature, mais par l’augmentation des performances intellectuelles au contact de la mécanique). On le voit, la position de l’homme l’autorise à dominer la nature : il le fait parce qu’il le peut, ce qui est évidemment bien douteux ! Mais ne jetons pas la pierre à Descartes, il nous offre la leçon que l’écologie a su tirer : sa difficulté même ! Comment prédire les effets futurs d’une innovation ? Qui aurait su à quel point l’industrie pétrolière deviendrait polluante au moment où l’on a découvert cette source d’énergie ? Il faut ajouter alors une difficulté : s’extraire des intérêts économiques, du présent et imaginer les effets négatifs des innovations. Bref, user d’un voile de cécité qui nous ferait nous demander si nous pourrions vouloir la découverte quelle que soit l’époque depuis laquelle on se placerait. Plus facile à dire qu’à faire …

Sans doute nous faut-il nuancer ce point qui donnerait à croire qu’on oppose technique et nature, comme on opposerait maladie et santé. Il existe des formes d’entreprenariat liées à l’écologie qui font leur chiffre d’affaire sur les innovations permettant de favoriser les énergies vertes ou de nettoyer ce que la grande industrie ou le tourisme ont pu causer. C’est d’ailleurs la nature même de l’objet technique que de n’être ni bon ni mauvais en soi : le scalpel permet aussi bien de soigner que de tuer. Ce qui reporte la responsabilité sur son usager.

Nous remarquions déjà, avec un pessimisme désespérant, un certain nombre de travers de l’homme : dans les situations de crise, disions-nous dans notre premier article, l’homme a tendance à devenir un loup pour lui-même. Selon Hobbes, le seul moyen d’entraver nos mains capables « de rapines et de vengeance » est d’établir un contrepoids à nos pulsions d’agressivité et pour cela de plébisciter un régime politique (la monarchie absolue) seul capable d’inspirer suffisamment d’effroi pour interdire les manifestations de notre propension à l’agressivité. C’est sans doute dans cette perspective que Aldous Huxley imagine, dans Le retour au meilleur des mondes, en 1958, que la prochaine dictature sera écologique : la tension sur les ressources devenant trop fortes eu égard à l’accroissement exponentiel de notre population, et à notre incapacité à vivre en droite raison, il faudra nous imposer des conduites écologiques et ce par des moyens violents. N’y a-t-il que par la force qu’on va sauver la vie sur notre planète ? On ne s’emportera jamais assez contre ces manières effrayantes de se jeter dans l’avenir.

Dans son Principe de responsabilité, Hans Jonas médite la « valeur heuristique de la peur », il considère, assez cyniquement à mon sens, que la peur de la dégradation de la terre doit être le principal moteur pour le développement d’une conscience écologique. Il y aurait ainsi une forme de sagesse dans la peur du futur et à ce titre, une valeur d’apprentissage. Mais un philosophe comme Marc Rosset dans la Logique du pire, fustige assez cette pensée d’assureur, qui cultive la peur chez son client à coup de « On n’est jamais sûr de ce que l’avenir nous réserve ! Assurez-vous donc ! ». L’assuré se sentira en effet rassuré des polices d’assurances contractées, mais il sera surtout vaincu par une malfaçon que nous ne dénoncerons jamais suffisamment : faire passer pour une prudence, une sagesse, ce qui n’est que l’effet de la peur, c’est tenir l’hypocondriaque pour un homme bien sensé. Il est avant tout celui qui parce qu’il n’a pas la preuve qu’il n’est pas malade, va s’autoriser à croire qu’il l’est peut-être. Comment en effet prouver que ce qui n’existe pas, n’existe pas ? Puisqu’on ne le peut, on se trouve légitimé à croire le pire et de ce fait à prendre les devants. S’agissant du pseudo-malade, il va consulter, quant au pigeon, il va se faire assurer au nom des accidents qu’il pourrait avoir, et l’écologie dans tout ça ? Elle va fleurir dans les discours les plus alarmistes et la terreur qu’elle va cultiver en nous n’aura rien d’une fleur du mal … On l’a déjà dit, la peur met sous le joug, elle est une tyrannie. N’acceptons donc pas ces discours radicalisés qui font de nos peurs les moyens de notre aliénation !

A la faveur de la prolifération des attitudes les plus équivoques en la matière, on est en train d’inventer une nouvelle religion venue d’une autre planète : la planète Vegan. Dans ce monde radicalisé, on cultive la conscience coupable, comme dans toute bonne religion ! Il y a ce que Nietzsche appelle de la « moraline » dans la pensée écologique. Par ce néologisme, il essaie de penser la synthèse entre la morale comme castration et la médication. On prend une dose de moraline et on est soignés. En l’occurrence, ne pas vivre selon le diktat écolo, c’est mal ! Honte à toi, si tu ne t’y plies pas ! Et cela aussi est dérangeant, car la culpabilité n’est pas davantage un argument que la peur.

Quel chemin la pensée écologique peut-elle se frayer entre tous les écueils que nous venons d’énoncer ? Entre la difficulté théorique de concevoir les effets environnementaux à venir, la difficulté pratique de concevoir un droit intergénérationnel, un droit à l’égard du vivant, sans radicalisation, la difficulté psychologique de penser l’avenir sans s’effondrer dans la passion de la peur cultivée par les visions apocalyptiques, et sans tomber dans une forme de morale culpabilisatrice, l’écologie doit se frayer un chemin et parvenir à la rationalité. Nous sommes plus que jamais face à deux modèles microscopiques : celui de l’île de Pâques dont on sait que l’activité cultuelle a fini par détruire l’écosystème et celle de Tikopia, perdue dans le pacifique, et où subsistent depuis plus de 3000 ans sur 5 Km2, une population de 1200 personnes. Ce second modèle, pas vraiment sexy au regard de notre goût du luxe, semble pourtant la voie même de la raison : des porcs y ont été introduits, puis jugés trop coûteux, ont été éradiqués. On y emploie des plantes contraceptives, abortives, y contrôle sévèrement les naissances en favorisant les mariages tardifs. Les écarts sociaux sont très réduits puisque les chefs coutumiers (non héréditaires) partagent le sort commun dans un mode de vie frugal. Auquel de ces modèles voulons-nous nous affilier, nous que le pathos de tranquillité semble pousser inexorablement vers l’île de Pâques comme un radeau à la dérive ? Nous sommes sortis de déconfinement depuis le 11 mai et que voit-on déjà ? Outre les masques qui jonchent les trottoirs, ces rassemblements de gens sans distance sanitaire : les habitudes ont la peau dure. On a déjà repris le chemin ordinaire, déjà l’espoir d’un autre monde semble prendre fin.

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Romain Lambret, conférencier et Philosophe.

 


Merci de votre intervention Yves, cette fois, nous sommes d’accord sur de nombreux points ! Je reste sceptique sur la définition de la liberté induite par votre posture libérale. A mon sens, elle ne tient qu’à l’illusion d’une volonté libre et consommer ou d’entreprendre. Mais je concède aussi qu’on peut faire de l’écologie un business et que ça fonctionne. Mon idée de se frayer un chemin a d’ailleurs ce sens que l’écologie devrait se libérer des passions de peur et de morale culpabilisatrice pour accéder à la raison et j’entends par là, une conscience individuelle éveillée par l’éducation. La capitalisation reste pour moi une passion.

Yves Cappelaire

🧠Consultant 📰Journaliste 🎓Enseignant 🧏🏻♂️Formateur 🎤Conférencier spécialisé «Communication & RSE» 🥋 ⎮⎮⎮⎮ Né en EDVN 67,8 ans #communication #marketing #contenus #stratégie

4 ans

"L’écologie doit se frayer un chemin et parvenir à la rationalité". Je ne crois pas. "L'écologisme", religion vouée à Sainte-Gaïa et dont vous soulignez très justement le "marketing de la peur et de la culpabilité", ne trouvera, par essence, jamais ce chemin. Quitte à aller vers la dictature écolo que vous présentez. "L'écologie", science de l'habitat et dénuée de toute idéologie (la science n'est jamais une idéologie), n'a pas besoin de se frayer de chemin autre que la connaissance. Or, qu'est ce qui finance la science ? (éducation, recherches, production, déploiement) ? Réponse simple : c'est l'argent permis par la création de valeur capitaliste. Le développement économique permet les réponses aux problématiques environnementales. Pas la contrition et la flagellation (décroissance), pas la peur des flammes des enfers (réchauffement) ou du déluge (montée des eaux), pas la promesse de l'éden ("un autre monde est possible") et encore moins la vénération d'idoles (de Sainte-Greta à Gaïa) sous menace de la fin des temps (collapsonisme). Préservons la liberté et toutes ses vertus ! C'est la seule solution pour atteindre la voie que vous désignez

Nathaniel Scher

Médecin spécialiste en Oncologie&Radiothérapie chez Institut de Radiothérapie et de Radiochirurgie H.Hartmann

4 ans

Très clair et bien argumenté. Cela donne de bonnes perpectives pour une réflexion écologique. Bravo Romain Lambret

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