Qui gagnera à emprunter la future A69 ? La récente réouverture de l’instruction repose sur l’annonce de la prise en charge (très) partielle du prix du péage par l’Etat. Mais, au fait, combien faudra-t-il gagner et à quelle vitesse faudra-t-il rouler pour « gagner du temps » sur l’A69 ?
Zoom sur la vitesse généralisée
En ajoutant au temps de parcours le temps de travail nécessaire pour payer le trajet, il est possible de calculer la "vitesse généralisée" d'un déplacement. Le principal intérêt de cette méthode, qui donne une valeur au temps, c’est de montrer les limites de la vitesse, qui peut se révéler contre productive si elle coûte trop chère. Ivan Illich l'a théorisé en 1973, Yves Crozet l'a largement repris et adapté dans ses travaux, démontrant par exemple l'échec commercial du concorde ou les limites du TGV.
Dans le cas de l’A69, la démonstration est particulièrement claire. Aller plus vite demande surtout de travailler plus : dans notre exemple, personne ou presque n’y a intérêt.
Tous perdants ?
Comme le montre ce graphique (voire les données utilisées en commentaire), à Castres, seuls les cadres, dont le salaire est 74% supérieur à la moyenne, verront leur vitesse légèrement augmenter grâce à l’autoroute (de 36,6 à 38,2 km/h) ; et encore, cela ne tient qu’à la condition que la proposition de limiter les autoroutes à 110km/h (l’une des mesures écologiques les plus faciles à mettre en oeuvre) ne voit jamais le jour !
Tous les autres seront logés à la même enseigne : ils iront moins vite avec l’autoroute (25,5km/h contre 26,6 auparavant), d’autant que l’alternative sans péage sera grandement pénalisée, ajoutant à minima 15 minutes de trajet (les déviations de Soual et Puylaurens étant intégrées à l’A69 – ce qui justifie, d'ailleurs, l’annonce surprise d’une réduction du péage de... 0,44€ !).
Pour espérer gagner du temps grâce à l’autoroute, il faudra gagner plus de 18,8€ nets l'heure, ce qui n’est le cas que d’une minorité de tarnais. Pour raccourcir son trajet de 20 min, un employé devra travailler... 34 minutes ! L’autoroute permettra-t-elle d’aller toucher de meilleurs salaires à Toulouse, moyennant 140 kilomètres de voiture par jour ? Quelques centaines (582 très exactement, en 2018) le font déjà. Rouler pour travailler, travailler pour rouler. Le cercle vicieux est enclenché.
Face au désastre écologique en cours sur place, la promesse de gains de temps et de vitesse ressemble à un vrai mensonge. Alors, pour quoi faire, cette A69 qui aura le plus grand mal à rassembler 8000 véhicules par jour (ce qui en fera l’une des autoroutes les moins fréquentées de France) ? Désenclaver, lutter contre la pauvreté et le chômage ? Castres est moins pauvre que Pamiers (desservie par l’A66 depuis 2002) ; le chômage y est au même niveau qu’à Albi ; et il y a chaque jour 11 TER vers Toulouse et 3 vols vers Paris...
Rien, décidément, ne justifie cette balafre géante sur les terres agricoles.
La Voie Est Libre Aurélien Bigo Karim Lahiani