Qui accepterait de payer un ticket de métro à 215 € ? Personne, vous me direz. Et pourtant, un Français sur deux continue d’acheter de l’eau en bouteille cent fois plus chère que celle du robinet. La France est d’ailleurs l’un des pays au monde où l’on en consomme le plus : 11,3 milliards de bouteilles y sont produites chaque année, soit 358 bouteilles par seconde.
L’eau en bouteille est le bien contre-productif par excellence. Elle coûte chère, pollue beaucoup, et n’est pas de meilleure qualité. Le prix moyen d’un litre d’eau embouteillée est de 0,46 €, soit 105 fois le prix moyen d’un litre d’eau du robinet. Le prix final se retrouve gonflé par le coût du transport, de la publicité, de l’emballage, et surtout par les marges des entreprises qui peuvent atteindre plus de 40 %. Un Français consomme en moyenne 133 litres d’eau en bouteille par an, soit 61 € ; à l’échelle du pays, cela représente 4,1 milliards d’euros par an.
Produire une bouteille en plastique de 1 litre requière 76 g de pétrole et 5 litres d’eau. Celle-ci doit ensuite être transportée (300 km en moyenne), souvent en camion. Cela explique pourquoi l’eau en bouteille émet 360 fois plus de gaz à effet de serre que celle du robinet. Les bouteilles d’eau génèrent 150 000 tonnes d’emballages par an, un problème de taille car seul 26 % de tous les déchets plastique est recyclé, le reste étant enfoui, incinéré, laissé en décharge, ou rejeté dans les océans.
Une gabegie d’argent et de ressources pour pas grand-chose. En termes de qualité, l’eau du robinet est au moins équivalente à celle des bouteilles, voire meilleure. En effet, ces dernières ne contiennent pas moins de microplastiques et ne garantissent pas non plus l’absence de micropolluants (résidus de médicaments, pesticides, PFAS, etc.) et de bactéries pathogènes. Nestlé a d’ailleurs été récemment forcé de détruire deux millions de bouteilles de Perrier après une contamination bactérienne d’origine fécale. Au contraire, l’eau du robinet est l’aliment le plus contrôlé en France, soumis de manière quotidienne à une batterie de tests.
Réalisant la supercherie, de plus en plus de ménages abandonnent l’eau en plastique. En réponse, les marques font du forcing à grand coup de publicité. Les eaux de luxe, les eaux de sport, les eaux minceurs, les eaux pour les enfants, les eaux aromatisées, etc. Ironie du sort : ces dépenses publicitaires viennent rehausser le prix des bouteilles (car oui, ce sont les consommateurs qui paient les dépenses de pub), ce qui les rend encore moins compétitives par rapport au robinet. Un joli cercle vicieux d’acharnement commercial.
On me demande souvent par quoi commencer la décroissance. L’eau en bouteille est un candidat parfait. On économiserait plusieurs milliards d’euros par an, réduirait notre empreinte écologique, on préserverait les réserves d’eau souterraine, et libèrerait des capacités productives pour d’autres projets – tout ça sans dégrader la qualité de vie, ou même en l’améliorant.