Des Royal Dahomés aux Policiers Kényans : Quand l’Histoire se répète en Haïti

Article : Des Royal Dahomés aux Policiers Kényans : Quand l’Histoire se répète en Haïti
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1 juillet 2024

Des Royal Dahomés aux Policiers Kényans : Quand l’Histoire se répète en Haïti

Sans Souci. Château du roi Christophe d’Haïti, lithographie de Gottfried Küstner (1800-1864) issu d’un ouvrage de Carl Ritter publié en 1836. / Wikimédia

Les souvenirs du passé resurgissent souvent dans les moments de crise, illuminant notre présent de leçons précieuses.

Alors que j’observe l’arrivée des premiers contingents de policiers kényans en Haïti, un parallèle saisissant se dessine entre ces forces de maintien de l’ordre et les Royal Dahomés1, cette élite militaire redoutable du roi Henri Christophe au début du 19ème Siècle, venus du Dahomey (actuel Bénin) pour imposer l’ordre et la stabilité dans un pays alors en pleine construction.

En 1804, Haïti est née dans le sang et le feu de la Révolution, un peuple d’anciens esclaves se libérant de leurs chaînes pour créer la première république noire du monde. Conscient de la fragilité de ce jeune État, le roi Henri Christophe a recruté des soldats du Dahomey, transformés en une élite militaire connue sous le nom de Royal Dahomés.

Leur mission était de défendre la nation contre une éventuelle invasion française post-indépendance visant le rétablissement de l’esclavage, de maintenir l’ordre dans les campagnes et d’assurer l’application stricte des lois, notamment le code rural de Toussaint Louverture, qui imposait des obligations de travail rigoureuses.

La Citadelle Laferrière, construite entre 1805 et 1820 par le roi Henri Christophe près de Milot, Haïti, visait à défendre contre une invasion française post-indépendance. Symbole de résistance, elle est perchée à 900 m d’altitude, couvre 10 000 m², et possède des murs de 40 m de hauteur. Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982. / Wikimédia

Les Royal Dahomés : Piliers de la stabilité

Les Royal Dahomés, par leur discipline et leur efficacité, ont marqué l’histoire d’Haïti, imposant une stabilité parfois brutale mais nécessaire à l’époque. Ils étaient directement recrutés dans l’ancien Dahomey, l’actuel Bénin, et formaient un corps de 4 000 hommes répartis dans les 56 arrondissements du royaume2. Leur présence dans les campagnes était particulièrement significative, car ils y contrôlaient l’application du code rural avec des obligations de travail sévères que le système du fermage avait rétablies.

Leur rôle ne se limitait pas à la simple surveillance des champs et des travailleurs. En cas d’attaque extérieure, Christophe comptait avant tout sur cette garde prétorienne pour favoriser les embuscades et frapper l’ennemi par des opérations concertées.3 Les Royal Dahomés étaient une force redoutée et respectée, leur discipline de fer décourageant toute velléité d’opposition. Leur efficacité et leur dévouement faisaient d’eux la colonne vertébrale de la stabilité du royaume de Christophe.

Ce contrôle strict, bien que parfois oppressif, était vu par le roi Henri Ier comme la seule garantie de la stabilité et du progrès. Il croyait fermement que sans un contrôle rigoureux, les jeunes nations comme Haïti, nées dans le chaos et la révolution, seraient rapidement consumées par l’anarchie. Les Royal Dahomés, avec leur main de fer, représentaient la main invisible qui guidait le pays vers l’ordre et la discipline, éléments indispensables pour toute croissance et tout développement.

Ruines du palais Sans-Souci, à Milot (extérieur), gravure avant 1881 (Wikimédia).

L’arrivée des Kényans : une répétition historique

En voyant les policiers kényans débarquer à Port-au-Prince le 25 juin dernier, je ne peux m’empêcher de penser à cette époque révolue et à ces hommes, venus d’Afrique, qui ont joué un rôle crucial dans le maintien de l’ordre et la construction de notre nation. Les nouveaux arrivants sont confrontés à une mission tout aussi ardue : rétablir la sécurité dans un pays déchiré par la violence des gangs.

La Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) en Haïti est une force de police internationale approuvée par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour aider le gouvernement d’Haïti à rétablir l’ordre public dans un contexte d’aggravation de la violence des gangs depuis 2018. La résolution 2699 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 2 octobre 2023, a autorisé une mission de sécurité dirigée par le Kenya en Haïti.

L’analogie avec les Royal Dahomés est frappante. Tout comme eux, les policiers kényans arrivent dans un contexte de chaos, où des factions armées sèment la terreur et la désolation. Les gangs contrôlent 80 % de la capitale, rendant la vie quotidienne invivable pour des centaines de milliers d’Haïtiens.

La chapelle royale de Milot (également connue sous le nom de cathédrale de Milot), est un établissement religieux situé dans le palais Sans Souci à Haïti / Wikimédia

Les Kenyans, rejoints par des policiers et soldats du Bénin, du Bangladesh, du Tchad, de la Barbade, des Bahamas et de la Jamaïque, assument la lourde tâche de pacifier une ville en guerre et ses environs. Les forces kényanes, qui dirigent la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) en Haïti, ainsi que les pays qui les accompagnent, et les anciens Royal Dahoméens du Bénin partagent une origine commune : l’Afrique, tout comme nous, Haïtiens. Ce qui est bien. Cependant, cette intervention soulève des questions : cette force étrangère parviendra-t-elle à apporter une paix durable, ou ne sera-t-elle qu’un pansement temporaire sur une plaie béante ?

En réfléchissant à cette situation, je me rends compte que l’histoire semble se répéter. La présence de forces étrangères pour rétablir l’ordre en Haïti n’est pas une nouveauté. Chaque intervention a apporté son lot d’espoirs et de désillusions. La Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti, en abrégé MINUSTAH de 2004 à 2017, par exemple, est entachée de scandales et de controverses, laissant derrière elle des cicatrices profondes dans la mémoire collective haïtienne.

Je me demande souvent ce que ressentent ces policiers kényans en arrivant ici. Ressentent-ils la même détermination que les Royal Dahomés autrefois ? Sont-ils conscients du poids historique de leur mission ? Ont-ils la foi que leur présence fera une différence durable dans la vie des Haïtiens ?

Vue aérienne du corps principal (par l’arrière). / Wikimédia

Espoir et réalité

Il est facile de critiquer et de douter, mais je ne peux m’empêcher de nourrir un mince espoir. Peut-être que cette fois, les choses seront différentes. Peut-être que ces hommes et femmes en uniforme, venus de l’autre côté de l’océan, parviendront à instaurer une paix véritable, durable. Mais cela nécessitera plus que des actions militaires. Il faudra une véritable volonté de reconstruction, d’écoute et de compréhension des dynamiques complexes qui alimentent cette violence.

À la fin de la journée, alors que le soleil se couche sur Port-au-Prince, je repense à l’ancienne capitale royale de Christophe, le Cap-Haïtien, où les Royal Dahomés veillaient. Ils incarnaient une force redoutée et respectée, et je me demande ce que l’avenir réserve à Haïti. Les Royal Dahomés ont laissé leur empreinte dans l’histoire peu connu d’Haïti, mais est-ce que les policiers kényans et leurs coéquipiers feront de même ?

Nos valeureux ancêtres ont donné leur vie et versé leur sang pour que nous puissions vivre dans une nation libre, fière et prospère. Ce n’était certainement pas leur projet de nous voir dépendants au point que d’autres doivent s’occuper de notre sécurité et de notre avenir en tant que nation.

L’espoir réside dans la capacité des Haïtiens à se relever, encore et encore, malgré les défis incessants. Et peut-être, un jour, nous n’aurons plus besoin de forces étrangères pour garantir notre sécurité. Mais pour l’instant, chaque pas vers la paix, aussi petit soit-il, est une victoire précieuse.

Thélyson Orélien

Ottawa, 30 juin 2024

Portrait de Henri Christophe, souverain de Haïti (28 mars 1811 – 8 octobre 1820), peint par Richard Evans en 1816, Musée du Panthéon National Haïtien. publié dans le Bulletin de l’ISPAN n° 38 Institut de sauvegarde du patrimoine national (Wikimédia)

1– Antoine Coron, Le « système de défense » du roi Christophe, Revue de la BNF 2010/3 (n° 36), pages 74 à 81

2 Les Royal Dahomés (ou Royal Dahomets) constituaient un corps de 4 000 hommes, recrutés directement dans l’ancien Dahomey (aujourd’hui le Bénin). Le roi Christophe les avait organisés en une redoutable gendarmerie, répartie dans les 56 arrondissements de son royaume. Leur mission principale était de surveiller les campagnes, assurant l’application stricte du code rural de Toussaint Louverture, qui imposait des obligations de travail sévères rétablies par le système du fermage. En cas d’attaque extérieure, Christophe comptait principalement sur cette garde prétorienne pour mener des embuscades et frapper l’ennemi avec des opérations concertées.

3– Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe. Paris: Présence Africaine, 1963, 1993.

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