Elom 20ce, un conteur hors du temps

Le rappeur togolais Elom 20ce. © RFI/Hervé Mandina

Elom 20ce créé l'évènement en ce mois de septembre 2024 avec la sortie de son cinquième album studio Hors-Temps. Un projet dense de 17 titres que le Togolais a composés en toute spontanéité, accompagné du pianiste de jazz ghanéen Kamarou Kwaku Anthony, et qu'il défendra sur la scène de la Dame de Canton, à Paris, le 18 septembre. Entre poésie, rap et rituels vaudou, rencontre avec un artiste définitivement hors du temps.

RFI Musique : Dans votre présentation, vous décrivez Hors-Temps comme une composition live. Pouvez-vous nous expliquer le concept de cet album ?  
Elom 20ce : C'est une histoire de deux passionnés de musique, un pianiste et un cogneur de l'invisible, qui se sont retrouvés en studio il y a quatre ans. Et un album est sorti de cette rencontre musicale. Cet album, c'est aussi pour vomir beaucoup de choses qu'on a longtemps gardé en nous. Il était important de les sortir. C'était une séance de transe en studio parce que ce n'est que quatre ans après qu'on est finalement prêts à partager cet album. Ce n'est qu'en écoutant l'album que le public va comprendre pourquoi. Hors-Temps est un concept que moi-même, je continue de méditer. L'inspiration m'est venue au Togo. En langue éwé, le mot qui signifie "futur" est aussi le même qui signifie "passé". Donc être Hors-Temps, c'est ne pas être dans la gamme ni dans le mouvement que nous demande le système. C'est être un peu aussi en avance sur son temps. Parfois, c'est juste être décalé, c'est important.

Vous dévoilerez les 17 titres de l’album sur scène le 18 septembre, ce n’est pas courant de le faire. Pourquoi avez-vous privilégié cette approche ? 
Rien qu'avec le titre Hors-Temps, vous comprenez que ce ne sera pas quelque chose d'habituel. Imaginez-vous sur l'eau, sur une péniche, avec un pianiste qui apporte de la tendresse. Lorsqu'on enregistrait cet album, j'ai demandé à mon pianiste de s'inspirer de Herbie Hancock qui mange la sauce aloma (plat togolais "djenkoumè" ndlr). Donc il y aura un chef cuisinier (le pianiste), et puis un storyteller, pas un rappeur. Moi, un cogneur de l'invisible. Parce qu'on sait que le verbe, chez nous, c'est porteur d'imaginaire. Et on a envie que les gens se réveillent. Ce concert sera une communion entre ceux qui aiment la musique profonde et les textes profonds aussi.

Et justement, parlons du processus de création de cet album, comment se sont connectés le pianiste et le storyteller ?
Kamarou Kwaku Anthony, c'est mon pianiste. On s'est rencontré grâce à un grand musicien jazz du Togo et du Ghana qui s'appelle Fafa. Un jour, Fafa m'a fait croire qu'il ne se sentait pas bien. Il m'a dit Kamarou va me remplacer. Et Kamarou avait assisté à toutes les répétitions, et on ne s'est plus quitté depuis. Ce que j'aime chez ce frère, c'est cette envie de toujours se dépasser, de ne pas rester enfermé. Et je suis allé vers lui parce que je pense que c'était lui qui comprenait le mieux ce que je voulais faire. Je pense qu'il complète mon travail parce que mes propos peuvent être parfois très durs. Et j'ai compris avec le temps que ce qui est lourd, c'est avec légèreté qu'on le porte. En définitive, c'est une belle alchimie entre deux cogneurs de l'invisible. Lui avec ses doigts et moi avec ma voix.

 

Combien de temps cela vous a pris pour composer ce disque ?
Hors-Temps est un recueil de textes, c'est le travail de plusieurs artistes visuels plasticiens togolais. Par exemple, il n'y aura qu'un seul vinyle qu'on va vendre aux enchères. J'ai véritablement travaillé sur ce projet de mars à juin 2020. J'ai écrit les textes à cette époque-là. Puis je suis allé au studio avec plein de textes que je prenais au pif, sans répéter, sans ordre d'enregistrement, jusqu'à épuisement. Je disais à Kamarou "essaye tel truc comme ça" tu vois. Et le résultat est intéressant. Hors-Temps, c'est comme une invitation studio, pour plonger le public dans l'ambiance d'enregistrement. Et je pense que c'est important aussi qu'on montre ça aux gens qui nous soutiennent. Pour que, nous aussi, on prenne conscience que la place qu'on a, ce sont ces gens-là qui nous la donnent. En 2020, je n'étais pas prêt à défendre ce projet. C'est comme une nuit, j'ai traversé. J'ai été traversé par plein d'histoires. Et ce sont ces histoires que je raconte. Il y a des histoires qui m'ont semblé très invraisemblables. Mais j'ai voulu quand même m'offrir cette vulnérabilité-là pour raconter certaines choses dures. Donc trois mois d'écriture, une nuit pour l'enregistrer, attendre quatre ans pour le donner au public.

Hors-Temps est un projet que vous avez créé également pour les artistes, car vous souhaitez éveiller les consciences des acteurs de l’industrie du disque et du divertissement. Dites-nous en plus ?
Aujourd'hui, je pense souvent à la façon dont les artistes vivent. Hors-Temps c'est aussi se poser ces questions. Quand on ne contrôle pas notre musique. J'essaie de me battre pour contrôler ma production, mais aujourd'hui la distribution, c'est compliqué. Puis je pense que, aujourd'hui plus que jamais, l'artiste doit monter sur scène. C'est comme ça qu'on doit le faire. C'est de cette pensée qu'est partie l'idée de faire des live sessions. C'est un projet qui a été écrit pour la scène, même si j'ai envie de ne faire que sept concerts, pas plus. Ça commence à Paris le 18 septembre, ça finira à Lomé. Je dirai les dates au fur et à mesure.

Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de vous avec cet album Hors-Temps ?
Avec ce projet, j'aimerais assumer le fait que je sois hors temps parce que pendant longtemps, je ne l'ai pas assumé. Ça peut sembler prétentieux de le dire. Je cogne l'invisible, c'est une façon de reconnaître le côté spirituel du travail qu'on fait. Je ne parle pas que de moi, mais de tous ceux qui nous ont précédés. Tous les ancêtres qui sont encore avec nous parce que nous sommes une continuité de ce qui nous a précédé. C'est ça être hors temps : traverser les époques et se poser les questions existentielles que chaque génération pourra se poser. On ne peut pas être sûr de ce que sera demain, mais au moins, on peut regarder dans le passé de temps en temps et se dire qu'on a accompli quelque chose de bien. Rendez-vous à Paris pour en découvrir plus.

Elom 20ce, Hors-Temps (Asrafo Records) 2024
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