Les cadavres n'ont pas toujours bonne mine
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Colin-Olivier a publié une douzaine de romans. Récemment, "Le Bal des débutants" et "Qui a tué le maire de Paris ?" En duo avec la journaliste Laurence Mouillefarine, il a signé aussi "Vous êtes riche sans le savoir". Il a également été scénariste pour la télévision. Selon les critiques, il se singularise par un sens aigu du burlesque, des dialogues drôles et satiriques. À retrouver dans ce thriller joyeusement immoral.
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Avis sur Les cadavres n'ont pas toujours bonne mine
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Aperçu du livre
Les cadavres n'ont pas toujours bonne mine - Philippe Colin-Olivier
ROLAND AREZZEAU, quatre-vingt-trois ans, cent huit millions d’euros, un château, douze immeubles, une propriété à West Palm Beach, neuf sociétés écrans, trois paradis fiscaux, sept mille hectares de forêts, des préservatifs à ses initiales, une Rolls, et toutes ses dents.
Il profitait de la vie. Il s’amusait. Combien de trimestres ou d’années avait-il devant lui ? La vieillesse n’a pas de temps à perdre !
Roland Arezzeau, anarcho-capitaliste, avait crânement fait fortune et prenait plaisir à se souvenir de spéculations réussies. Avoir mieux joué qu’un autre l’amusait. Son ardeur, sa lucidité l’avaient placé dans le rôle du vainqueur.
On dit qu’un homme très riche ne peut être qu’un cynique. Oui, Roland, humaniste tôt repenti, était cynique. Mais également généreux et drôle. Il avait de l’humour, qualité rare chez les hommes d’argent.
Mécène, patriote à sa façon, il venait de faire construire, à ses frais, le musée du Maquisard, en Haute Loire, un hommage à la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale.
Roland était aussi un séducteur. Cent vingt-deux maîtresses recensées au cours de son existence, dont beaucoup considérées avec un œil d’artilleur : il prônait les aventures d’un soir et savait se montrer aux petits soins pour ces filles durant quatre-vingt-dix minutes, en se gardant de les laisser espérer davantage. Il ne croyait pas aux revenants mais aux revenantes, aux femmes qui s’accrochent.
Roland Arezzeau, esprit pratique, avait toujours disposé d’une garçonnière proche de ses bureaux. Après un dîner à une bonne table, un excellent vin, des fleurs, les filles devenaient sensibles à ses brames de désir. Improviser une sieste crapuleuse souligne les qualités d’adaptation d’un grand entrepreneur.
Roland Arezzeau était resté célibataire jusqu’à un âge avancé. Il avait longtemps estimé que le mariage n’était qu’une sorte de soleil d’hiver, moins lumineux qu’engourdissant.
Quelques-unes de ses maîtresses s’étaient proclamées enceintes. Dubitatif, Il montrait néanmoins un cœur d’or et leur proposait un dédommagement au meilleur tarif.
Maintenant âgé, il méditait sur cet esprit de conquête et cultivait sa mémoire dans la récitation, chaque matin, du prénom de ses préférées : Marie, Aïcha, Roseline, Nadia, Agnès… Diane. Oh ! Diane dont le cœur battait de l’aile et qui ne savait jamais si, oui ou non, elle était amoureuse.
La sérénité était venue. Les sens de Roland s’étaient apaisés. Le voilà tendre sur le tard. Il s’interrogeait enfin sur la psychologie féminine : elle est mystérieuse aux yeux des hommes, autant attendre le plus longtemps possible pour admettre n’y rien comprendre.
Roland avait convolé sur le tard, à soixante-douze ans, et il adorait sa femme, Nadège, trente-neuf ans. Elle en paraissait dix de moins.
Le port de tête de Nadège était parfait, c’était une blonde élancée avec les gestes du raffinement. Son nez droit, un teint scandinave firent fondre Roland quand il la rencontra lors d’un déjeuner à la brasserie Lipp.
Nadège n’avait heureusement pas les lèvres bulbeuses de celles pressées de rajeunir. Sa poitrine était discrète. Roland écartait les seins qui, tels des bolides, ratent le tournant du soutien-gorge et filent droit vers le public. Roland aimait les femmes racées, peu lui importait leur groupe biologique. Noire, Asiatique ou Caucasienne, elles étaient les reines de son monde.
Dur en affaires, bienveillant parfois, Roland était un homme de paradoxes. Il excellait dans l’ambiguïté.
Autre caractéristique, qui amusait ses domestiques et ses amis, Roland était hypocondriaque, il se croyait régulièrement atteint des maladies les plus variées.
*
Cette saison, Roland était surtout préoccupé par la France célébrant avec ferveur son abaissement.
Le vandalisme prospérait. Les crimes de sang aussi. Quant à la jalousie à l’égard des riches, elle semblait plus vigoureuse.
Plusieurs enlèvements de personnes très fortunées, dont celui de son ami Arnaud du Gué de Castillon, banquier d’affaires et collectionneur de bijoux Art déco, l’avaient incité à engager deux agents de protection rapprochée, Costes et Bernstein.
Les hommes qui choisissent ce métier, que d’aucuns nomment gardes du corps, ont de vilaines habitudes, dont celle de cracher sur le sol tels de stupides joueurs de football. Ce sont souvent d’anciens flics ruisselant de vinasses, des karatékas illettrés, des boxeurs sonnés, catégories à l’abri de toute éducation.
Aussi importe-t-il de les sélectionner judicieusement. Roland en avait reçu plusieurs à son bureau, certains mettaient mal à l’aise. Intentionnellement en manches courtes, ils exhibaient des biceps tatoués de dragons ou de serpents. L’un des derniers, Letton d’origine, semblait accueillir un élevage de poux dans ses cheveux huileux. La brute jargonnait une poussière de langue russo-polonaise. Il effraya Ratonne, la chatte du gardien, qui en fit une fausse couche.
Après réflexion, et deux entretiens, Costes et Bernstein furent retenus par Roland. Ils paraissaient bien élevés et lui avaient été recommandés par un député européen qu’ils défendirent lors d’une agression par un pitbull à Bruxelles : chien d’attaque qui croquait la vie à belles dents, autant dire la cuisse des politiciens.
À première vue, Costes et Bernstein formaient un duo bizarre qu’il espéra complémentaire.
Le jour où Roland les reçut, il observa, avec une délicate surprise, le livre glissé dans la poche de la veste de Bernstein. Roland ne pouvait deviner le subterfuge pour inspirer confiance. S’étant renseigné sur Roland en jetant un coup d’œil sur la Toile, Bernstein avait cru bon se munir d’un bouquin acheté d’occasion : Charles De Gaulle : de Barrès à Ben Bella.
En d’autres circonstances, Bernstein laissait apparaître Le Saint pèlerinage à La Mecque, texte qui portait au délire les princes arabes. Quant à Un soir de Kippour, en édition reliée, il pouvait émouvoir, jusqu’aux larmes, les Juifs. Certains en perdaient leur kippa.
Bernstein, petit rouquin né à Paris, fils d’un repris de justice et d’une gardienne de prison, avait du bagou et de l’entregent. Il mesurait la sensualité des femmes avec convoitise, à l’inverse du gros et gourmand Costes dont la préférence allait aux parfums épars des choux à la nougatine.
– Bernstein a été consultant auprès de la direction du contre-terrorisme, avait indiqué l’ami député.
Un autre bobard de Bernstein.
Son associé Costes parlait peu. Né à Panuf-sur-Brenne, dans une famille de paysans alcooliques et incestueux, son cou avait la circonférence d’une balise de chantier. Il pesait cent quarante-neuf kilos, masse musculaire et chairs grasses mêlées. Costes vous regardait fixement, ses yeux étaient chargés d’images lentes. Un visage de brontosaure, dont le foie, l’estomac, le pancréas et les intestins se disputaient la place, et menaçaient de transpercer la chemise par-delà la ceinture. Mais Costes, s’il raisonnait avec parcimonie, était visiblement capable de soulever, d’une seule main, un char de trente tonnes avec son équipage.
– Il a un diplôme de tireur d’élite. Il a été reçu premier à un stage au FBI, avait encore précisé l’ami député de Roland.
Le diplôme était faux, et Costes, s’il caressait avec amour son Beretta, évitait de le pousser jusqu’à la chaleur d’une détonation.
À la demande de Bernstein, Costes posait volontiers au dur, comme s’il lui était plus facile d’appuyer sur la détente que de plaquer un accord à la guitare.
*
Depuis cinq jours, Roland Arezzeau avait les paupières qui se fermaient.
« Je me fais vieux », pensa-t-il d’abord. Il peinait à marcher. Le soir, il se sentait fatigué, lui à l’ordinaire inépuisable.
Puis ses bras furent pris d’une ankylose. Il s’interrogea, mais le corps humain étant le fief de l’énigme, il ne sut conclure dans un sens ou dans un autre.
Il n’en parla pas à sa femme Nadège. Elle s’angoissait facilement.
Un jeudi, alors qu’ils étaient invités à l’inauguration d’une exposition consacrée à la culture berbère, impossible d’ouvrir les yeux. Il se retrouva à demi aveugle, cramponné au bras de Nadège.
– Tu as un AVC, assura, inquiet, un ami qui le vit comme foudroyé.
– Non, murmura Roland.
Il savait qu’une attaque cérébrale se caractérise par une faiblesse latérale, des fourmillements et une difficulté à s’exprimer.
– Chéri, je t’emmène à l’hôpital, dit Nadège, tremblotante.
– On verra demain.
Costes et Bernstein patientaient dans la Rolls à l’emplacement réservé aux cars de touristes. Ils le virent de loin qui marchait péniblement.
– Merde ! Le patron s’est pris une lame ! évalua Bernstein qui songea à un islamiste.
Costes abandonna son Manga préféré, celui destiné aux enfants de douze ans très en retard dans leur scolarité. Il tourna la tête.
– Oui, il a l’air de morfler…
Bernstein sauta de la voiture et se porta vers Roland.
Soutenu par Bernstein et Nadège, Roland put atteindre la Rolls.
– Nous allons à la maison, indiqua, sobre, Nadège. Elle était livide.
Même s’il avait le cœur un peu loin de tout, Bernstein fut ému. Tant de l’état physique de Roland que pour les joues soudain creuses de Nadège. Bernstein était l’ennemi juré du drame. Il aimait le plaisir. C’était un viveur folâtre.
Pour une fois, Costes, toujours partant pour conduire à l’allure d’une tortue, accéléra.
Il brûla deux feux rouges. Peu importe ! Lever des fonds pour les campagnes électorales vous épargne le caractère diabolique des contractuels. Jamais Roland Arezzeau n’avait payé une seule contravention. À Noël, il noyait de cadeaux le préfet de police, adorable chochotte en ménage avec un imam algérien.
L’état de Roland ne s’améliora pas. Ses paupières restèrent closes. Il souffrit de crampes aux cuisses et de pertes d’équilibre lorsqu’il tenta de se lever pour aller pisser.
Nadège ne parvint pas à dormir. Elle perdit deux kilos en une nuit.
Dès neuf heures du matin, Nadège appela le docteur Weinbergg à son cabinet.
Roland donnait depuis vingt ans sa confiance à ce